Rupture brutale de relations commerciales établies : Quand la délicatesse s’impose dans le jeu de la concurrence.

En amour comme en affaires, les histoires finiraient mal en général, et il faut savoir terminer sa relation avec élégance et délicatesse.

À cet égard, le code du commerce prévoit en son article L.442-1, II, une disposition spécifiquement dédiée à la protection des entreprises contre les ruptures brutales, que celles-ci soient totales ou partielles, avec ou sans préavis[1].

Une rupture brutale peut être très coûteuse, aussi bien pour l’auteur de la rupture que sa victime. Ci-dessous figure un récapitulatif, ainsi que quelques conseils utiles, sur les fins brutales de relation commerciale.

Qu’est-ce que la relation commerciale établie ?

Le caractère établi d’une relation commerciale relève de plusieurs critères identifiés par les juges au fil de leurs décisions. Les trois principaux éléments permettant de qualifier une telle relation sont :

-          La constance ou continuité des échanges (physiques, financiers, contractuels) ;

-          Le caractère significatif de la relation d‘affaires dans le modèle économique de la société ou spécifiquement de l’unité commerciale (en considération de la marge brute générée) ;

-          La stabilité de la relation commerciale[1].

À la lecture de ces trois critères, le juge détermine si la société qui subit la rupture brutale de la relation d’affaires a pu raisonnablement considérer que la relation commerciale allait continuer avec la même stabilité[2].

Le respect d’un préavis empêche-t-il toute brutalité ?  

Respect d’un préavis et brutalité de la rupture sont intimement liés, bien que le caractère brutal puisse être caractérisé même si un préavis (alors trop court) a été consenti. En effet, non seulement le préavis doit être suffisant compte tenu de la durée, du volume, de la stabilité de la relation et du secteur d’activité (entre autres), mais il faut en plus rompre avec la manière. C’est-à-dire qu’il convient de ne pas être injurieux, équivoque, vexant, malhonnête lorsque vous notifiez votre rupture.

En outre, se distinguent en jurisprudence trois durées de préavis différentes selon l’ancienneté de la relation commerciale :

-          durée inférieure à 10 ans : préavis de 6 à 12 mois ;

-          durée comprise entre 10 et 20 ans : préavis moyen de 12 mois ;

-          durée supérieure à 20 ans : préavis de 12 à 18 mois.

Par ailleurs, lorsqu’une durée de préavis de rupture est fixée contractuellement entre les parties, le juge ne peut fixer une durée plus courte[1], mais donc seulement plus longue.


Qu’est-ce qu’une rupture partielle ?

Dans la majorité des cas, la rupture totale ne pose guère de difficulté d’identification, ce qui n’est pas le cas de la rupture partielle, plus insidieuse.

En effet, la rupture partielle vise des cas de modifications spécifiques de la relation commerciale, tels que la réduction de certains services, une baisse de commandes, un déférencement de produits, la modification des conditions contractuelles, ou l'arrêt de la fourniture de certains produits, entraînant une perte de marge brute pour la victime.

Toutefois, une baisse substantielle de commandes ne constitue pas une rupture brutale partielle lorsque l’auteur de celle-ci est lui-même victime d’une diminution de ses propres commandes, de sorte que la modification de la relation est contrainte dans le contexte de crise économique[1].


Quelle indemnisation de la rupture brutale par un ex-cocontractant ?

Le préjudice indemnisé par les juges en cas de rupture brutale de relation commerciale établie s’évalue sur la base de la marge brute escomptée durant la période de préavis qu’aurait dû respecter le cocontractant. À cet égard, la jurisprudence définit la marge brute comme « la différence entre le prix de vente d'un produit ou service et son coût de revient, c'est-à-dire le coût de production ou d'acquisition »[1].

En cas de rupture, il est donc primordial de faire attester par un professionnel du chiffres la perte de marge brute suivie à l’issue de la rupture.

En général, la pratique consiste à réaliser le produit du délai de préavis suffisant avec le montant de marge brute mensuelle générée par la relation d’affaires.

De surcroît, d’autres préjudices que l’indemnisation du non-respect du préavis peuvent être indemnisés, sous réserve d’en apporter les justificatifs idoines :

-        Le préjudice moral[2] (comprendre, pour une société commerciale, une atteinte à sa réputation, son image ou son honorabilité) ;

-        Les frais de développement, sous réserve que le préjudice ainsi invoqué se rattache à la brutalité de la rupture et non à la rupture elle-même[3] ;

-        Les frais de ressources humaines[4], en ce compris les frais d’employés recrutés dans le cadre de la relation d’affaire et aux éventuels licenciement induits par la brutalité de la rupture.


Quel recours et quels délais ?

En matière de rupture brutale de relation commerciale établie, le délai pour agir de la victime est le délai de droit commun de cinq ans. Ce délai court à compter du jour où la victime a eu connaissance de la rupture effective de la relation et du préjudice en découlant.

Ainsi, en principe, le délai de prescription quinquennal commence généralement à courir à compter de la notification de la rupture. Néanmoins, en cas d’absence de notification ou en cas de notification tardive de rupture, le délai commence à courir à compter du jour de la rupture effective.

Si votre rupture intervient dans le cadre d’une relation commerciale de commandes à échéances successives, le point de rupture s’analysera en une absence de commandes, un silence de la part de votre cocontractant. Par conséquent, le point de départ du délai de prescription à retenir sera la date d'expiration du délai moyen séparant chaque prestation à compter de la dernière[1].

Nos conseils

En plus de suivre avec attention la tenue de votre comptabilité et vos taux de marge par client, nous recommandons généralement de :

-          Fixer contractuellement une durée de préavis avec vos cocontractants ;

-          Fixer dans vos contrats des clauses d’objectifs raisonnables pour vous prémunir d’un contrat insatisfaisant, difficilement résiliable ;

-          Justifier clairement les motifs de la rupture, un simple « ce n’est pas toi, c’est moi » ne sera pas suffisant ;

-          Proposer des solutions alternatives à la rupture franche des relations d’affaires ;

-          Comme en amour, ne pas offrir de vaines promesses, mais des envies de promesses…


[1] Article L.442-1, II du code de commerce : « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels, et, pour la détermination du prix applicable durant sa durée, des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties ».

[1] Cass. com. 15-09-2009, n° 08-19200

[2] Cass. com. 16-12-2008, n° 07-15589

[1] Cass. com. 28-06-23, n° 22-17933

[1] Cass. com. 12-02-13, n° 12-11709

[1] Cass. com. 23-01-19, n° 17-26870

[2] Cass. com. 05-04-18, n° 16-26.568

[3] CA, Paris, 08/09/2011, n° 10/11197

[4] CA, Aix-en-Provence, 02/03/2011, n° 10/01905

[1] CA Paris, 08/09/2021, n° 20/00883


Suivant
Suivant

BSA / BSPCE